Voici 1 semaine qu'on a des températures très froides, accompagnées d'un beau ciel bleu. J'ai donc décidé de me faire une rando par ce froid extrême, malgré la présence probable de restes de neige et de glace à certains endroits de la piste. Nul doute qu'une telle rando serait une rude épreuve, que la vitesse de croisière serait assez faible, car le cœur ne peut pas tout faire : à la fois pomper le sang de façon accrue vers les organes vitaux, et permettre un travail musculaire du corps (surtout des jambes) très énergivore. Malgré cela, j'ai quand même décidé de me faire une rando de 10 heures, mon entraînement en footing par temps froid étant par ailleurs satisfaisant.
Rando Metz - Wincheringen - Metz en M100 + Matter jaunes 110 mm usées.
(Wincheringen, Allemagne, en face de Wormeldange, Luxembourg)
De 06h05 à 16h12, soit 10h07 pour 176,3 km soit 17,42 kmh de moyenne.
http://www.openrunner.com/index.php?id=1439395
De -12°C à -5°C, vent de 10 à 15 kmh d'Est.
Vêtements:
2 cagoules
2 T-shirts synthétiques, 1 sweat-shirt, 1 veste survêtement, 1 coupe-vent
1 collant, 1 pantalon long cycliste
2 paires de chaussettes fines
2 paires de gants (les plus fins sous les plus gros)
2 kg rien qu'en vêtements.
Sac banane contenant : clés allen, quelques brioches, figues, abricots secs.
Sac à dos contenant : 1 litre d'eau pure, 1 litre d'eau + poudre isotonique, 1 gourde de 650 ml d'eau + poudre isotonique, 1 bouteille de 50 cl de mélange thé vert fort - miel - vitamine C.
Brioches, biscuits au beurre, figues, abricots, 1 boîte de poudre isotonique en rab au cas où.
Je tiendrai à la main, dans mon dos, une autre gourde de 650 ml d'eau + poudre isotonique, ainsi qu'une lampe led puissante. Autour de mon front, par-dessus les cagoules, j'ai installé une autre lampe led, frontale celle-ci.
Enfin un vieil Ipod shuffle première génération qui fonctionne encore… mais pas pour longtemps, comme on va voir.
J'embarque donc au total 3,8 litres, plus la nourriture, et les vêtements, je dois avoisiner les 10 kg de matériel embarqué.
Je pèse 65 kg, mais au retour, je n'en pèserai plus que 62,5.
Lever à 5h00 du matin, après une bonne nuit de sommeil. (le repas de la veille était africain : riz sauce arachide).
Petit déjeuner : muesli, habillage, vérification de la température au thermomètre sur la terrasse : -12,5°C. Je pars donc à 6h00, et, quoi qu'il advienne, je décide de ne rentrer que dans 10 heures, vers 16h00 donc.
C'est parti. Je suis totalement isolé du froid. J'ai l'impression d'être un nageur sous-marin en mer froide, tandis que je dévale la côte en bas de chez moi. -11°C d'après le thermomètre d'une pharmacie.
Je croise une patrouille de police… sinon, tout est calme.
Au bout de 6 km, alors que je suis encore en ville, je me rends compte que je transpire sous mon coupe-vent. ça c'est très mauvais, il ne faut pas transpirer là-dessous. Je m'arrête, enlève le coupe-vent, et galère un bon moment pour trouver de la place dans le sac à dos pour l'y ranger. Enfin, je repars, mais j'ai eu le temps de me refroidir. Mes orteils sont en train de geler, et mes doigts aussi.
Au bout de 10 km, alors que j'arrive à la Maxe, je constate que l'embout de ma gourde est gelé : impossible de s'en servir. Je la secoue et je sens des cristaux de glace à l'intérieur. De minute en minute, ces cristaux de glace occupent de plus en plus d'espace dans la gourde, que je suis obligé de boire en dévissant la tête. Je dois garder la mixture en bouche un moment pour que ça fonde avant d'avaler.
20 km plus tard, je décide de remettre le coupe-vent car décidément, je n'arrive pas à me réchauffer, et l'engourdissement gagne du terrain au niveau de mes orteils.
Là-dessus, mon Ipod décide de tomber en panne, alors que je l'avais chargé pendant toute la nuit. Il semblerait qu'il n'apprécie pas trop ces températures de congélateur. Tant pis, on fera sans musique, je range. D'ailleurs, je me rends compte que ma lampe frontale est éteinte aussi : les piles sont mortes. Heureusement il me reste la lampe manuelle, et de toutes façons le jour se lève.
Le jour se lève tout doucement, un ciel bleu intense et froid, des plaques de neige ça et là dans les champs, quelques lapins détalent devant moi. La piste est sèche, alors qu'il a neigé il y a 1 semaine. La raison est que par ce temps extrêmement sec, le peu de neige se sublime dans la journée (la glace passe directement de l'état solide à l'état gazeux), ou bien, si par chance elle arrive à fondre sous les rayons du soleil, cette eau s'évapore rapidement grâce aux forts vents que nous avons eu ces jours-ci.
À propos de vent : il est d'Est, entre 10 et 15 kmh, donc entre défavorable et latéral.
Il va de soi que si la température annoncée en ville est de -12°C, elle est encore plus basse en rase campagne, et plus basse encore du fait du vent (température ressentie).
Les passages sur ponts présentent une petite difficulté : ils sont restés couverts de neige tassée (de glace). Passage laborieux en se tenant à la rambarde à Richemont, puis sur l'Orme, puis à la passerelle d'Illange, ainsi que dans la descente de la rue de la digue vers Thionville. Le Pont des Alliés, à Thionville, a été copieusement salé, et ça roule bien. À Yutz, je commets l'erreur de passer par la piste : j'en suis quitte pour marcher, roller aux pieds, le long de 300 mètres de neige. C'est dit : au retour, je passerai par la ville. Cette marche, ou plutôt, cette danse sur glace a pour effet de me réchauffer les orteils. Plus tard, sur la piste entre Yutz et Koenigsmaker, je sens la chaleur qui revient dans mes pieds et mes doigts. Mais, malgré la présence de mon coupe-vent, je ne transpire toujours pas. Mon allure est lente, avec un patinage à l'économie, ample, régulier. Il me serait impossible d'aller à l'encontre de cette "mollesse" de mes jambes. Mon cœur à décidé qu'il en serait ainsi. Il a beaucoup de travail, ce cœur. Mon cerveau, mes poumons, mon ventre, réclament leur part d'oxygène et d'énergie. Les jambes sont secondaires. Pourtant, elles travaillent, les jambes, mais au ralenti.
Je mange des brioches, et ça passe très bien. Pour l'eau de la gourde qui est en train de geler, j'ai trouvé la solution : je la range entre mon coupe-vent et ma veste de survêtement, elle ne peut pas tomber grâce à mon sac banane qui la bloque en bas à hauteur du ventre. Ainsi, ce qui est gelé reste gelé, mais au moins ce qui n'est pas encore gelé ne gèle pas.
À Koenigsmacker, je vois un très gros rassemblement de cormorans. Ils sont une trentaine, peut-être plus, dans l'eau. D'ailleurs, d'une façon générale, tout ce qui est oiseau aquatique se trouve dans l'eau, qui reste un milieu plus clément que l'air en ce moment. (canards sauvages, canards mandarins, cygnes, mouettes, hérons, poules d'eau, cormorans). Parfois le cormoran reste immergé jusqu'au cou, son dos dépassant à peine de l'eau.
Berg sur Moselle : les restes de boue sont totalement desséchés, mais il faut se frayer un passage entre des ornières. Plus loin, ce sont 2 grandes flaques d'eau gelée qu'il faut négocier.
Contz-les-Bains : je croise deux cyclistes à qui je demande si le passage à niveau est toujours barré. Ils me répondent que ce passage est définitivement barré, et qu'il faut désormais passer par le nouveau pont, et descendre après le rond-point (ce qui ne figure pour l'instant sur Google Maps qu'en mode "Carte" mais pas encore en mode "Satellite".) Je prends donc cet itinéraire pour la première fois, et je descends dans Sierck-les-Bains. À Sierck-les-Bains la supérette "Norma" qui se trouve en bordure de piste a été agrandie, les travaux sont finis.
Je pointe vers Schengen, puis Rémich. La température augmente, et je recommence à transpirer. Voici la Route du Vin, direction Wormeldange. En consultant régulièrement ma montre, j'ai déjà fait le calcul mental de ma vitesse moyenne : un bon 17 kmh, du jamais vu dans la lenteur ! Et je sais par là même que c'est à Wormeldange que va s'effectuer mon demi-tour. (il est 11h15, et ça fait donc 5 heures et dix minutes que je roule. De plus, je compte faire une pause…)
Je franchis le pont de Wormeldange sur la Moselle, et passe côté allemand, dire bonjour à Wincheringen. Je m'arrête enfin pour une pause d'un quart d'heure durant laquelle j'enlève mon coupe-vent et réorganise le contenu de mon sac à dos. J'ai trop transpiré sous mon coupe-vent. Je suis trempé là-dessous. C'est pas bon, ça… Je fume dans le soleil. La vapeur s'élève de mon corps comme d'une assiette de spaghettis posés sur un balcon en hiver.
Je sais qu'il va maintenant falloir faire tout le retour sans coupe-vent, qu'il va falloir s'activer au soleil si je ne veux pas geler sur place. Bien que je me sois dépêché au maximum, mes doigts on recommencé à s'engourdir.
Et c'est le chemin du retour, sur la route du vin, en plein soleil. N'ayant plus de coupe-vent, j'ai rangé ma gourde devant moi, dans mon sac-banane, où elle rentre juste. Avant d'avoir atteint Schengen, je sais que c'est gagné : mon corps est en train de sécher, tout est en train de sécher, et le soleil me réchauffe agréablement. Il doit faire -4°C au plus chaud de la journée, et j'ai l'impression d'être au printemps. La luminosité est forte. Ma tête est dans les rêves…
D'après mes calculs, je devrais être de retour à la maison à 16h00, et c'est bien : ça me laisse le temps de prendre mon temps… Vers Talange, j'observe une grosse péniche qui avance dans mon sens, en fracassant les plaques de glace et ça fait du bruit : sur son flanc, son nom est marqué : "Le Silencieux". Elle est bien bonne, celle-là.
À La Maxe, je vois un bonhomme, fortement couvert, avec une lunette de vue sur son trépied. Je sais qu'il est en train d'observer les oiseaux. Du coup je m'arrête pour discuter avec lui au sujet de ces nombreux cormorans qu'on voit ces derniers temps. Il me confirme que ce sont bien des cormorans ! Il m'apprend aussi d'autres détails intéressants sur la vie de ce drôle d'oiseau. (un connaisseur !).
Fort de ces précieux renseignements, ma puissance est décuplée, et je vole vers Metz…
La dernière côte pour monter chez moi est vraiment, vraiment dure. Quel bonheur en arrivant enfin à la maison. Une bonne douche là-dessus, une bonne bière (eh oui, ça fait vraiment du bien, surtout quand on est passé de 65 à 62,5 kg), et je me retrouve dans la cuisine en train de faire des crêpes ! Je rangerai tout mon barda un peu plus tard… Pour l'instant je profite de la bonne chaleur avec mes enfants et ma femme…